« Repenser la logistique urbaine pour une mobilité et des choix de consommation de proximité » : différence entre les versions

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=== Comprendre l’impact de la consommation sur la logistique urbaine ===
=== Comprendre l’impact de la consommation sur la logistique urbaine ===
'''Si on ne regarde que la chaîne logistique, plus du tiers du parcours logistique est effectué en ville, ce qui représente plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble du parcours [https://civitas.eu/sites/default/files/civ_pol-an5_urban_web.pdf <nowiki>[13]</nowiki>] et inclut le flux lié à la gestion des déchets.'''
'''Si on ne regarde que la chaîne logistique, plus du tiers du parcours logistique est effectué en ville, ce qui représente plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble du parcours [https://civitas.eu/sites/default/files/civ_pol-an5_urban_web.pdf <nowiki>[13]</nowiki>] et inclut le flux lié à la gestion des déchets.'''
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Dans le schéma ci-dessous toutes les flèches représentent des flux logistiques associés à la consommation d’un produit sur l’ensemble de son parcours. De fait, plus le produit se rapproche de sa destination, plus l’intensité énergétique de son transport s’accroît [http://www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1060543.pdf <nowiki>[14]</nowiki>], les véhicules utilitaires légers émettent proportionnellement plus de gaz à effets de serre à la tonne-km que les camions lourds longue distance et prennent également plus d’espace à la tonne transportée. '''En d’autres termes, la livraison en camion léger du dernier km n’est pas efficace'''.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Dans le schéma ci-dessous toutes les flèches représentent des flux logistiques associés à la consommation d’un produit sur l’ensemble de son parcours. De fait, plus le produit se rapproche de sa destination, plus l’intensité énergétique de son transport s’accroît [http://www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1060543.pdf <nowiki>[14]</nowiki>], les véhicules utilitaires légers émettent proportionnellement plus de gaz à effets de serre à la tonne-km que les camions lourds longue distance et prennent également plus d’espace à la tonne transportée. '''En d’autres termes, la livraison en camion léger du dernier km n’est pas efficace'''.  


Pour autant, ne s’attacher qu’à l’amélioration de ce maillon ne permet de ne traiter que ⅓ du parcours. Les ⅔ de la chaîne logistique dépendent in fine de la production et du transport longue distance, essentiellement par bateau, jusqu’aux hubs logistiques nationaux.
Pour autant, ne s’attacher qu’à l’amélioration de ce maillon ne permet de ne traiter que ⅓ du parcours. Les ⅔ de la chaîne logistique dépendent in fine de la production et du transport longue distance, essentiellement par bateau, jusqu’aux hubs logistiques nationaux.
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== La nouvelle normalité : livraison ou commerce local? ==
== La nouvelle normalité : livraison ou commerce local? ==
On l’a vu, l’achat en ligne progresse rapidement et la pandémie a pu créer de nouvelles habitudes chez des publics moins enclins à acheter en ligne auparavant, notamment les tranches d’âge supérieures à 55 ans. [https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2021/03/netendances-2020-commerce-electronique-quebec.pdf <nowiki>[24]</nowiki>] La possibilité d’optimiser les tournées de livraisons, d’investir dans des véhicules électriques [https://www.businessinsider.com/amazon-creating-fleet-of-electric-delivery-vehicles-rivian-2020-2 <nowiki>[25]</nowiki>], de développer de nouvelles technologies de livraisons à moindre impact sur le trafic routier (vélos, drones), permet aux géants du e-commerce de proposer une vision alliant croissance économique et atténuation du changement climatique.
Pour l’instant, si l’on considère uniquement les principaux types de comportements d’achat en Amérique du Nord (déplacement en voiture au centre d’achat, achat en ligne, achat en ligne avec livraison en moins de 24h), la théorie semble leur donner raison [https://ctl.mit.edu/sites/ctl.mit.edu/files/library/public/Dimitri-Weideli-Environmental-Analysis-of-US-Online-Shopping_0.pdf <nowiki>[26]</nowiki>]:
Pour autant, cette comparaison ne tient pas compte:
* des échecs de livraison : prépandémie de 12 à 60% des livraisons sont des échecs au premier passage, impliquant un 2e voire un 3e passage ou le déplacement du client jusqu’à l’entrepôt
* de l’achat local : la norme nord-américaine est l’achat au centre commercial, situé en moyenne à 21km du domicile, et conçu pour l’accès automobile [https://ensia.com/features/environmental-cost-online-shopping-delivery/ <nowiki>[27]</nowiki>].
* de l’empreinte environnementale hors CO2 : artificialisation des sols, bruit, espace public dédié à la circulation, déchets, pollutions atmosphériques et aquatiques liées au trafic et l’impact social n’est pas étudié.
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La politique de retour est un vrai enjeu pour le commerce en ligne, complexe à gérer, il est un déterminant majeur de l’achat en ligne [https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2020/09/netendances-2019-commerce-electronique-au-quebec.pdf <nowiki>[28]</nowiki>] : si 10% des achats en magasin sont retournés, c’est 20 à 35% des achats en ligne soit deux à trois fois plus de déplacements. Toutefois la modélisation de ces types de retour [https://www.abtslogistics.co.uk/green-logistics-resources/343c5312-af8f-4cc0-a271-4191cb2ccdff_Edwards-McKinnon-ShoppingTripOrHomeDelivery-FocusLogisticsJuly2009.pdf <nowiki>[29]</nowiki>] confirme l’impact GES plus important chaque fois que le retour est effectué par l’acheteur en voiture plutôt que par une entreprise de livraison.
Si ces études modélisent l’impact des 3 grands modes d’achat par produit (achat en magasin, achat en ligne, achat en ligne express), elles ne mettent pas en perspective le poids relatif de ces comportements types dans les volumes réels livrés. Ainsi s’il est encore minoritaire en nombre de e-clients [https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2020/09/netendances-2019-commerce-electronique-au-quebec.pdf <nowiki>[30]</nowiki>] (environ 30% au Québec), l’internaute compulsif représente la cible privilégiée des grandes enseignes car il commande beaucoup et souvent. Deux exemples: 25% des clients de Sephora achèteraient plus si la livraison était le même jour, idem pour les clients d’Altitude Sport [https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2021-05-05/altitude-sports/livraison-rapide-jusque-dans-l-ouest-canadien.php <nowiki>[31]</nowiki>] pour qui cet enjeu est clé pour augmenter les ventes. D’autres enquêtes clients montrent que plus de la moitié des internautes 18-34 ans s’attendent à être livrés le même jour et que 61% des consommateurs québécois sont prêts à payer plus pour ce service [https://www.valerialandivar.ca/commerce-electronique-2018/ <nowiki>[32]</nowiki>]. Si ces chiffres doivent être pris avec précaution, ils reflètent néanmoins une tendance
'''Par conséquent, les impacts négatifs de la livraison sont appelés à s’accroître à court et moyen terme.'''
D’après Dimitri Weideli, auteur du tableau ci-dessus, la livraison rapide va jusqu’à tripler l’empreinte environnementale de la livraison puisque le logisticien n’a plus le temps d’optimiser le remplissage et l’itinéraire de ses camions qui partent moins plein et sur des distances plus longues [https://ensia.com/features/environmental-cost-online-shopping-delivery/ <nowiki>[33]</nowiki>]. Considérant plusieurs types de comportements d’achat, il met en évidence que seul le consommateur effectuant son repérage en boutique et son achat en ligne avec livraison rapide a une empreinte carbone plus élevée que le consommateur traditionnel qui prend sa voiture pour se rendre au magasin. Il estime néanmoins que l’origine du client (vivant en banlieue ou en ville) et son mode de transport sont déterminants dans l’empreinte carbone de son achat : '''l’urbain se déplaçant à pied ou en transport en commun jusqu’au magasin “en dur” ayant potentiellement une empreinte plus faible [https://ctl.mit.edu/sites/ctl.mit.edu/files/library/public/Dimitri-Weideli-Environmental-Analysis-of-US-Online-Shopping_0.pdf <nowiki>[34]</nowiki>]. Pour autant, cette distinction des modalités d’accès au magasin n’est pas incluse dans l’analyse en cycle de vie de l’étude et mériterait d’être documentée.'''
En effet, l’étude américaine met en évidence que 80% de l’empreinte carbone de l’achat en magasin est lié au trajet en automobile. Mais une étude européenne répartit différemment l’empreinte carbone de l’achat en magasin où 30% sont liées au déplacement automobile et 60% à la consommation énergétique du bâtiment [https://www.oliverwyman.com/our-expertise/insights/2021/apr/is-e-commerce-good-for-europe.html <nowiki>[35].</nowiki>]
'''Il y a donc un enjeu fort pour vérifier l’hypothèse d’une empreinte environnementale réduite de l’achat en commerce de proximité sous réserve de s’y rendre autrement que seul en voiture.''' Cette analyse aurait également le mérite de remettre en question le modèle du centre d’achat en périphérie, commerce de destination automobile par excellence, et moteur de l’artificialisation des terres agricoles. Une information étayée est nécessaire pour orienter les efforts de la transition socio-écologique, en s’intéressant aux pratiques et circuits d’approvisionnement, comme aux comportements des consommateurs.
Car in fine, '''deux visions de la ville s’affrontent:'''
* '''la ville logistique, optimisée pour fluidifier la livraison à domicile à grand renfort de technologies “vertes”'''
* '''la ville du quart d’heure qui tisse le lien social à travers des échanges de proximité.'''
La pandémie a accéléré la pénétration du commerce en ligne dans les foyers et a forcé nombre de commerces locaux à recourir à des services de livraison ad hoc, qui ne sont pas toujours optimisés. Y a-t-il un effet cliquet sur ces comportements d’acheteurs et de vendeurs, et quel est leur impact à moyen long terme? Les encouragements à l’achat local seront-ils ancrés dans les habitudes?
Une partie des réponses se joue dans l’offre de services des acteurs privés et leur marketing, mais '''la concurrence entre deux modes d’achat/ de commercialisation dépasse de loin la seule compétition entre entreprises puisqu’elle impacte directement la vision et la viabilité de la ville de demain.''' Ainsi, le rôle des pouvoirs publics et des sociétés civiles est clé pour agir sur les pratiques des entreprises, les pratiques d’achats et le développement de la logistique en ville.
Aujourd’hui la concurrence féroce du commerce en ligne tend à camoufler le coût réel de la livraison : les commerçants préfèrent perdre de l’argent sur la livraison [https://time.com/5481981/online-shopping-amazon-free-shipping-traffic-jams/ <nowiki>[36]</nowiki>]


=== Les leviers ===
=== Les leviers ===

Version du 9 janvier 2022 à 13:58

Résumé exécutif

Nos habitudes de consommation sont à l’origine des déplacements de marchandises. Ce rapport montre à quel point il est important de trouver des solutions qui permettent d’adresser ces habitudes, ainsi que les enjeux racines.

Les prévisions de croissance de la livraison du World Economic Forum pour 2030 (+36% des véhicules de livraison en ville, +30% des émissions de gaz), nous laissent croire qu’ignorer les habitudes de consommation, à l’origine du flux de marchandise, et ne s’intéresser qu’à la gestion du dernier km pourrait au mieux permettre d’atténuer les impacts d’une partie de la croissance de la logistique qui sont de trois natures :

  • économique : congestion, entretien de la voirie, inefficacité du dernier km
  • environnementale : émission de GES et pollution de l’air, occupation des sols, augmentation des déchets
  • sociale : santé physique, sécurité des réseaux, quiétude, perte de lien social, nuisance sur la qualité de vie, précarité des emplois de la livraison ...

Ce rapport élargit donc la réduction des impacts de la logistique durable à l’étape la plus en amont qui est la décision d’achat et examine deux catégories de leviers : les leviers ciblant le consommateur et les leviers ciblant le dernier km.

Les leviers les plus puissants pour atténuer les impacts de la logistique sur un quartier relèvent des choix et du cadre réglementaire dans lequel évolue le consommateur lors de ses décisions d’achat : comment est fabriqué et d’où vient le produit (80% de l’impact carbone d’un bien de consommation est lié à sa production en moyenne) et comment il prend possession de son achat : en magasin ou par livraison à domicile. Les deux modèles dominants actuellement sont :

  • le modèle de l’achat en centre commercial en périphérie construit autour d’un accès en automobile
  • la livraison à domicile

Lorsqu’il n’est pas compulsif (achats répétés) et impatient (livraison le même jour), l’achat avec livraison à domicile semble plus efficace en émission de GES que le modèle d’achat au magasin, puisque dans ce cas l’essentiel du bilan carbone est lié à la voiture individuelle qui se déplace en périphérie.

Nous émettons donc l’hypothèse que renforcer la consommation locale à l’échelle du quartier, sous réserve de se déplacer autrement que seul en auto, aurait un impact environnemental bien meilleur que les modèles dominants, tout en ayant des impacts sociaux positifs (échange avec les commerçants, rencontres avec les voisins lors des déplacements dans le quartier, emplois locaux de qualité). Les nouveaux moyens de déplacement actifs et durables (vélos cargos, remorques...) y jouent un rôle important, pour pouvoir se déplacer localement et amener des marchandises plus lourdes chez soi.

Les leviers d’amélioration du dernier km, qu’il s’agisse de développer des hubs de transbordement urbain, de développer la cyclologistique, d’électrifier les flottes de véhicules, etc. n’auront d’effet notable que s’ils sont assortis d’une réglementation claire et dans une perspective de long terme de la ville.

Nos recommandations s’articulent autour d’un travail de fond sur le volet commerces et consommateurs :

  1. Analyser davantage l’impact du commerce de proximité comme vecteur de transition socio-écologique
  2. Informer et mobiliser le citoyen - consommateur
  3. Expérimenter une réglementation favorisant la logistique urbaine durable
  4. Mettre en œuvre des projets pilotes pour favoriser l’accès au commerce de proximité en mobilité durable et active.

Contexte

Identifier les principaux impacts de la logistique urbaine sur la vie en ville, en lien avec les nouvelles habitudes de consommation tirées par le commerce en ligne.

L’essor du e-commerce, accéléré par la pandémie de COVID-19, fait émerger de nouvelles habitudes de consommation et entraîne un effet démultiplicateur sur le nombre de livraisons et de véhicules de livraison en milieu urbain.

Crédits photos : Audrey McMahon/Solon

Si la consommation et le transport de marchandises jouent un rôle pour subvenir à nos besoins plus ou moins essentiels, il semble nécessaire d’examiner les ressorts favorables à une approche ancrée dans la transition socio-écologique. La prise de conscience collective tant sur l’urgence climatique que sur l’importance du lien social au sein de nos quartiers, impactés par les confinements successifs, offre une opportunité d’engager une réflexion en profondeur sur la définition d’une consommation et d’une logistique saine et durable.

La vitalité de quartier est un facteur majeur d’attractivité, de rétention des habitants et de liens sociaux en ville, contribuant ainsi à éviter l’étalement urbain lié à la relocalisation en banlieue, à soutenir l’économie locale et à favoriser les déplacements de proximité en modes actifs. Cette vitalité de quartier est étroitement liée aux offres et habitudes de consommation (biens/services, publics/ privés) et à la diversité de l’offre. Elle doit rester inclusive en permettant à tous types de populations de résider dans le quartier, ce qui suppose de maîtriser la pression immobilière.

Le présent rapport entend identifier les principaux impacts de la logistique urbaine sur la vie en ville, en lien avec les nouvelles habitudes de consommation tirées par le commerce en ligne. L’objectif est de mettre en perspective des leviers d’intervention et d’atténuation mobilisables à l’échelle du quartier.

Solon, organisme à but non lucratif, entend s’appuyer sur les résultats de cette étude pour mieux positionner l’enjeu consommation- logistique dans la transition socio- écologique à l’échelle du quartier.

Logistique et e-commerce : des tendances inquiétantes pour la ville

L’accroissement du transport de marchandises tiré par le e-commerce

Au niveau mondial, les émissions de CO2 dues aux transports sont estimées à 25%. Le transport de marchandises est croissant et compte pour 10% des émissions [1].

Cette croissance est largement tirée par l’essor du e-commerce : les livraisons dites du dernier km devraient quasiment doubler d’ici 2030 [2].

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La pandémie a accéléré la tendance vers le commerce en ligne et la numérisation des entreprises, notamment pour faciliter le télétravail. Les confinements successifs ont accru la demande de livraison à domicile, y compris de la part des commerces de proximité qui ont dû s’adapter dans l’urgence (le projet Arc-en-Ciel à Montréal en témoigne). Le quintuple des ventes en ligne pourrait ainsi être atteint avant 2028 [3] et la part du commerce en ligne dépasser les 20%. Au Canada, le commerce en ligne est ainsi passé de 4% des ventes de détail en 2019 à 10% mi-2020 [4] et les livraisons qui en découlent ont doublé entre février 2020 et février 2021 du fait même de la pandémie [5]. Le World Economic Forum estime que les ventes en ligne ont bondi de 25% en 2020 et que cette tendance devrait se poursuivre au-delà des contraintes liées à la pandémie. Il projette ainsi une hausse de 36% des véhicules de livraison en ville qui pourraient accroître de 30% les émissions de gaz à effet de serre, si le scénario actuel est maintenu sans changement [6].

Ainsi, le développement du e-commerce entraîne mécaniquement un accroissement de la logistique urbaine [7]. Comme le dit le Pr José Holguin-Veras, directeur du Centre of excellence for Sustainable Urban Freight Systems, Rensselaer Polytechnic Institute: «Nous créons une livraison par camion chaque fois que nous cliquons sur cette icône tellement pratique “acheter”. Et on clique beaucoup sur ce bouton.» Cela entraîne plusieurs externalités négatives importantes, elles aussi en croissance rapide : GES, sécurité, cohabitation entre usagers de la route, congestion routière. Certaines sont visibles à l’échelle du Québec. De 1990 à 2018, la consommation d’énergie totale du secteur des transports a augmenté de +43 %. Le transport de marchandises a généré une forte croissance de consommation d’énergie avec une hausse de 54 % comparativement à 26 % pour l’ensemble des véhicules personnels durant la même période.

La diminution de la consommation des voitures (–18 %) a été plus que compensée par une augmentation importante de la consommation de camions légers (+210 %) en raison de la progression des ventes de ces modèles.

Le transport de marchandises et de voyageurs par camions légers sont les secteurs de transport dont la consommation est en plus forte croissance depuis 1990, soit de 205 % et 210 %, respectivement.

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Cette augmentation est liée à la croissance continue de la consommation, accélérée par le commerce en ligne proposant la livraison à domicile d’un large catalogue de produits, dans un délai toujours plus court (eg. Amazon), ce qui engendre des changements de comportements d’achats. Les nuisances qui en découlent sont accentuées par l’infrastructure urbaine, et l’étalement urbain qui offrent un espace disponible limité car contraint, non adapté au point à point (typique au e-commerce), non adapté à l’afflux de camions en ville. De fait, même en Amérique du Nord, les villes ne sont pas conçues pour absorber les nouveaux besoins en matière de logistique urbaine.

À titre d’exemple, à Montréal, avant l’arrivée de la COVID-19, on prévoyait « un doublement, voire un triplement des activités de transport d’ici 30 ans [dans] certains secteurs clés comme celui de De Maisonneuve– Peel–Sainte-Catherine–Robert-Bourassa », un secteur déjà presque saturé avec un taux d’occupation moyen de 94 % pendant la journée.

L’impact des camions étant plus fort sur la congestion routière que leur place réelle dans le trafic routier (11% contre 7% au Etats-Unis [9] en moyenne), plusieurs villes nord-américaines ont entrepris de mettre en place une stratégie de logistique urbaine visant à en limiter les nuisances, comme Seattle ou New York. Il s’agit notamment de mieux organiser la voirie, les espaces de stationnement et les relais d’entreposage pour limiter les problèmes liés aux camions bloqués dans le trafic ou bloquant eux-mêmes le trafic et les risques associés aux accidents de la route et à la qualité de l’air.

Les entreprises de livraison ou de e-commerce se sont également attelées à la réduction de leurs impacts sur la ville, soit par anticipation ou confrontation à la réglementation (c’est le cas en Europe avec notamment les zones à faible émission ou la configuration des villes) soit par volonté de réduire les coûts disproportionnés associés à la livraison du dernier km (30 à 60% [10] !). Si la cyclo-logistique se développe largement, freinée aujourd’hui par la pénurie de vélos cargo, certains milieux d’affaires misent sur le développement à moyen terme de la livraison par drones et l’optimisation des circuits de livraison par l’intelligence artificielle. Ainsi à l’horizon de 2026, McKinsey projette par exemple que plus des ¾ des livraisons du dernier km seront fait de véhicules autonomes incluant les drones, 100% s’agissant des livraisons à domicile [11] ! Il s’agit d’une vision technocentrée qui propose une réponse à la congestion, à la substitution des véhicules thermiques, au coût ou à la rareté de la main- d’œuvre dans le secteur des transports mais surtout au coût du dernier km pour les logisticiens. Pour autant, en prenant en compte les prévisions de croissance du World Economic Forum pour 2030 (+36% des véhicules de livraison en ville, +30% les émissions de gaz), ignorer les habitudes de consommation, à l’origine du flux de marchandise, en ne s’intéressant qu’à la gestion du dernier km, pourrait au mieux permettre d’absorber la croissance du e-commerce mais sans résoudre les problèmes actuels [12].

Comprendre l’impact de la consommation sur la logistique urbaine

Si on ne regarde que la chaîne logistique, plus du tiers du parcours logistique est effectué en ville, ce qui représente plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble du parcours [13] et inclut le flux lié à la gestion des déchets.


Dans le schéma ci-dessous toutes les flèches représentent des flux logistiques associés à la consommation d’un produit sur l’ensemble de son parcours. De fait, plus le produit se rapproche de sa destination, plus l’intensité énergétique de son transport s’accroît [14], les véhicules utilitaires légers émettent proportionnellement plus de gaz à effets de serre à la tonne-km que les camions lourds longue distance et prennent également plus d’espace à la tonne transportée. En d’autres termes, la livraison en camion léger du dernier km n’est pas efficace.

Pour autant, ne s’attacher qu’à l’amélioration de ce maillon ne permet de ne traiter que ⅓ du parcours. Les ⅔ de la chaîne logistique dépendent in fine de la production et du transport longue distance, essentiellement par bateau, jusqu’aux hubs logistiques nationaux.

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Le consommateur a une incidence majeure sur toute la chaîne logistique par sa décision d’achat: comment est fabriqué et d’où vient le produit, et par la manière dont il prend possession de son achat: en magasin ou par livraison à domicile.


Le schéma ci-dessus illustre la disruption de   la chaîne logistique par le e-commerce, qui suppose un transport de marchandises plus éclaté que le dispositif d’approvisionnement intégré verticalement traditionnel.

Répondre à cette demande dans des délais toujours plus courts accroît l’inefficacité du dernier km : trajets à vide, multiplicité des dépôts aux particuliers plutôt qu’à des points de centralisation (magasin par exemple), plusieurs trajets par jour. Et pour la ville, cela suppose également une présence accrue de camions de livraison dans les zones résidentielles, ou en pied d’immeubles, alors que les infrastructures ne sont pas prévues pour les recevoir.

L’acte de consommation a des effets sur toute la durée de vie du produit : de l’extraction des ressources jusqu’au déchet, en passant par le transport et l’entreposage mais aussi la commercialisation, sur une plateforme ou un magasin [15].   Par   exemple,   un   jean   parcourt 65 000 km avant d’être acheté par le client final [16]. Plus largement, 80% des produits (y compris alimentaires) consommés par les Québécois sont arrivés par voie maritime, avant d’être redistribués par le fer ou la route [17]. L’acte de consommation individuel se répercute donc sur la chaîne logistique mondiale.

Toutefois, le dernier km provoque des effets disproportionnés puisqu’il peut représenter plus du tiers des impacts environnementaux et des coûts économiques d’une livraison [18].

Les impacts de la logistique urbaine

En ville, l’accroissement d’une consommation basée sur l’achat en ligne et la livraison à domicile génèrent de nombreuses externalités négatives19. Considérant que l’essentiel des livraisons dites du dernier km est encore fait en voiture / camion, cela :

  • accentue la pression sur les infrastructures qui se détériorent plus vite,
  • augmente les émissions de gaz à effet de serre, de polluants, de bruits principalement par les véhicules thermiques mais également par les plateformes numériques,
  • ajoute de la congestion au trafic routier,
  • contraint l’utilisation de l’espace public pour la circulation et le stationnement de véhicules moyens à lourds, ce qui provoque des entraves pour les autres modes,
  • aggrave le risque d’accidents de la route et de la rue,
  • accroît la quantité de déchets liés aux biens en tant que tels et à leur emballage individuel ainsi qu’aux biens retournés non valorisés,
  • réduit les interactions sociales et a un impact sur la compétitivité de nos commerces locaux.
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L’impact est d’autant plus négatif que le consommateur a recours à un mode de livraison express, ce qui réduit considérablement les possibilités d’optimisation des circuits de livraison et d’emballage, et accroît le nombre de camions sur les routes. Des solutions se développent progressivement pour atténuer les impacts environnementaux de la logistique mais cela n’affectera en rien les externalités sociales ou le report des problèmes dans d’autres secteurs géographiques : il sera toujours nécessaire d’acheminer les biens de consommation de leur lieu de production jusqu’à leurs lieux de vente en transports lourds et les déchets devront être récupérés (en camion) et traités. Ces flux logistiques ascendants et descendants accentueront donc la pression sur les hubs logistiques montréalais : port, aéroport, et autres centres de transbordements intermodaux mais également sur les voies de transit qui traversent l’île et ses ponts. Le fait que les consommateurs se rendent moins en centre d’achat grâce à la livraison ne réduit en rien la congestion, au contraire [20].

IMPACTS NÉGATIFS DE LA LOGISTIQUE URBAINE [21]

Au niveau du quartier, l’importance de la livraison à domicile a un effet sur les aménagements urbanistiques et l’accès aux bâtiments pour garantir la livraison des marchandises au consommateur final. Il impacte la quiétude des rues en zones résidentielles avec l’augmentation de la circulation des camions à toute heure de la journée. De plus, il peut être un vecteur qui encourage à consommer plus (achats compulsifs, l’achat et la livraison en un clic), auprès d’acteurs à l’international qui ne contribuent pas/peu au tissu local, ne sont pas assujettis aux mêmes règles fiscales, et qui se retrouvent en compétition directe avec nos commerces locaux.

Près de la moitié du transport de marchandises en ville est entrant (viens de l’extérieur de la ville) et un quart est sortant [22]. Seul un quart du transport de marchandises total relève d’une logique de distribution locale. Les acteurs et les leviers seront donc variables et à coordonner pour réduire sensiblement l’impact de ces déplacements.

Néanmoins, nous tenons à souligner que la livraison a également des effets positifs, notamment pour combler certains déserts alimentaires, faciliter la livraison de biens lourds, et éviter la nécessité d’avoir recours à une voiture personnelle. Plusieurs villes observent que l’engouement pour le vélo semble aller de pair avec le développement de la livraison à domicile [23]. Il serait ainsi pertinent de pouvoir mieux documenter les effets de la livraison conjugués aux nouvelles mobilités : autopartage, covoiturage, vélo à assistance électrique, vélo cargo, etc, sur la décision d’achat d’une auto personnelle.

Crédits photos : Audrey McMahon/Solon

La nouvelle normalité : livraison ou commerce local?

On l’a vu, l’achat en ligne progresse rapidement et la pandémie a pu créer de nouvelles habitudes chez des publics moins enclins à acheter en ligne auparavant, notamment les tranches d’âge supérieures à 55 ans. [24] La possibilité d’optimiser les tournées de livraisons, d’investir dans des véhicules électriques [25], de développer de nouvelles technologies de livraisons à moindre impact sur le trafic routier (vélos, drones), permet aux géants du e-commerce de proposer une vision alliant croissance économique et atténuation du changement climatique.

Pour l’instant, si l’on considère uniquement les principaux types de comportements d’achat en Amérique du Nord (déplacement en voiture au centre d’achat, achat en ligne, achat en ligne avec livraison en moins de 24h), la théorie semble leur donner raison [26]:

Pour autant, cette comparaison ne tient pas compte:

  • des échecs de livraison : prépandémie de 12 à 60% des livraisons sont des échecs au premier passage, impliquant un 2e voire un 3e passage ou le déplacement du client jusqu’à l’entrepôt
  • de l’achat local : la norme nord-américaine est l’achat au centre commercial, situé en moyenne à 21km du domicile, et conçu pour l’accès automobile [27].
  • de l’empreinte environnementale hors CO2 : artificialisation des sols, bruit, espace public dédié à la circulation, déchets, pollutions atmosphériques et aquatiques liées au trafic et l’impact social n’est pas étudié.
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La politique de retour est un vrai enjeu pour le commerce en ligne, complexe à gérer, il est un déterminant majeur de l’achat en ligne [28] : si 10% des achats en magasin sont retournés, c’est 20 à 35% des achats en ligne soit deux à trois fois plus de déplacements. Toutefois la modélisation de ces types de retour [29] confirme l’impact GES plus important chaque fois que le retour est effectué par l’acheteur en voiture plutôt que par une entreprise de livraison.

Si ces études modélisent l’impact des 3 grands modes d’achat par produit (achat en magasin, achat en ligne, achat en ligne express), elles ne mettent pas en perspective le poids relatif de ces comportements types dans les volumes réels livrés. Ainsi s’il est encore minoritaire en nombre de e-clients [30] (environ 30% au Québec), l’internaute compulsif représente la cible privilégiée des grandes enseignes car il commande beaucoup et souvent. Deux exemples: 25% des clients de Sephora achèteraient plus si la livraison était le même jour, idem pour les clients d’Altitude Sport [31] pour qui cet enjeu est clé pour augmenter les ventes. D’autres enquêtes clients montrent que plus de la moitié des internautes 18-34 ans s’attendent à être livrés le même jour et que 61% des consommateurs québécois sont prêts à payer plus pour ce service [32]. Si ces chiffres doivent être pris avec précaution, ils reflètent néanmoins une tendance Par conséquent, les impacts négatifs de la livraison sont appelés à s’accroître à court et moyen terme. D’après Dimitri Weideli, auteur du tableau ci-dessus, la livraison rapide va jusqu’à tripler l’empreinte environnementale de la livraison puisque le logisticien n’a plus le temps d’optimiser le remplissage et l’itinéraire de ses camions qui partent moins plein et sur des distances plus longues [33]. Considérant plusieurs types de comportements d’achat, il met en évidence que seul le consommateur effectuant son repérage en boutique et son achat en ligne avec livraison rapide a une empreinte carbone plus élevée que le consommateur traditionnel qui prend sa voiture pour se rendre au magasin. Il estime néanmoins que l’origine du client (vivant en banlieue ou en ville) et son mode de transport sont déterminants dans l’empreinte carbone de son achat : l’urbain se déplaçant à pied ou en transport en commun jusqu’au magasin “en dur” ayant potentiellement une empreinte plus faible [34]. Pour autant, cette distinction des modalités d’accès au magasin n’est pas incluse dans l’analyse en cycle de vie de l’étude et mériterait d’être documentée.

En effet, l’étude américaine met en évidence que 80% de l’empreinte carbone de l’achat en magasin est lié au trajet en automobile. Mais une étude européenne répartit différemment l’empreinte carbone de l’achat en magasin où 30% sont liées au déplacement automobile et 60% à la consommation énergétique du bâtiment [35].

Il y a donc un enjeu fort pour vérifier l’hypothèse d’une empreinte environnementale réduite de l’achat en commerce de proximité sous réserve de s’y rendre autrement que seul en voiture. Cette analyse aurait également le mérite de remettre en question le modèle du centre d’achat en périphérie, commerce de destination automobile par excellence, et moteur de l’artificialisation des terres agricoles. Une information étayée est nécessaire pour orienter les efforts de la transition socio-écologique, en s’intéressant aux pratiques et circuits d’approvisionnement, comme aux comportements des consommateurs.

Car in fine, deux visions de la ville s’affrontent:

  • la ville logistique, optimisée pour fluidifier la livraison à domicile à grand renfort de technologies “vertes”
  • la ville du quart d’heure qui tisse le lien social à travers des échanges de proximité.

La pandémie a accéléré la pénétration du commerce en ligne dans les foyers et a forcé nombre de commerces locaux à recourir à des services de livraison ad hoc, qui ne sont pas toujours optimisés. Y a-t-il un effet cliquet sur ces comportements d’acheteurs et de vendeurs, et quel est leur impact à moyen long terme? Les encouragements à l’achat local seront-ils ancrés dans les habitudes?

Une partie des réponses se joue dans l’offre de services des acteurs privés et leur marketing, mais la concurrence entre deux modes d’achat/ de commercialisation dépasse de loin la seule compétition entre entreprises puisqu’elle impacte directement la vision et la viabilité de la ville de demain. Ainsi, le rôle des pouvoirs publics et des sociétés civiles est clé pour agir sur les pratiques des entreprises, les pratiques d’achats et le développement de la logistique en ville.

Aujourd’hui la concurrence féroce du commerce en ligne tend à camoufler le coût réel de la livraison : les commerçants préfèrent perdre de l’argent sur la livraison [36]

Les leviers

Les leviers ciblant les consommateurs

Les leviers ciblant le dernier km

Des mesures déjà engagées à Montréal

Recommandations

Recommandation 1 - Analyser l’impact du commerce de proximité comme vecteur de transition socio-écologique

Recommandation 2 - Informer et mobiliser le citoyen - consommateur

Recommandation 3 - Expérimenter une réglementation favorisant la logistique urbaine durable

Recommandation 4 - Mettre en œuvre des projets pilotes pour favoriser l’accès au commerce de proximité en mobilité durable et active

Calendrier de mise en place

Conclusion

Références bibliographiques