Rapport - De l’électrification de l’automobile individuelle, à la réduction du parc
Dans le cadre de Mobilité de Quartier et la démarche LocoMotion en commun, un rapport intitulé De l’électrification de l’automobile individuelle, à la réduction du parc - Enjeux et opportunités au Québec et à Montréal dans un contexte global imprévisible a été réalisé par Mickael Brard. Vous trouverez ci-dessous le lien vers le rapport complet, ainsi que le sommaire exécutif.
Sommaire exécutif
Le contexte global actuel, marqué par de fortes tensions sur les chaînes d’approvisionnement, par des pénuries de composants électroniques et par une instabilité géopolitique croissante, entraîne une forte réduction de la capacité de production des constructeurs automobiles à l’échelle de la planète. Les constructeurs d’Asie du Sud-Est, d’Europe et d’Amérique du Nord y font tous face. Leur réponse pour sauver leurs marges a été d’accentuer leur stratégie de montée en gamme, alimentant ainsi l’accroissement de la taille, du poids et du prix des véhicules. En conséquence, l’offre de véhicules ne suit plus en quantité ni en adéquation à la demande, les modèles compacts et sous-compacts ayant disparu des catalogues, car ce sont ceux qui apportent les plus faibles marges de profit.
Le marché des véhicules électriques n’est pas épargné par cette tendance. Le dynamisme de la demande, soutenu à grand renfort de subventions, dépasse d’autant plus largement l’offre disponible. Les carnets de commandes sont pleins; certains constructeurs n’en prennent même plus, car les délais de livraison dépassent maintenant régulièrement les 24 mois. En conséquence, les prix augmentent. En 2021, le prix des batteries a augmenté pour la première fois de l’histoire, de même que le prix des modèles les plus produits, comme la Tesla Model 3, dont le prix a crû de près de 40 % en trois ans aux États-Unis. La voiture électrique devient un privilège de personnes nanties.
Cette perspective en forme de goulet d’étranglement risque de ne pas s’améliorer au cours des deux à trois prochaines années, notamment du fait de la pénurie de composants électroniques. Après 2025, ce sont les enjeux de production de batteries qui sont annoncés comme le prochain obstacle majeur. Les annonces des fabricants sont particulièrement alarmistes quant à leur capacité de produire tous les véhicules électriques promis par les différents gouvernements. Le constat est partagé par l’Agence internationale de l’énergie, dans son rapport sur les métaux critiques de la transition. Les tensions sur les matières premières se faisant déjà ressentir, la même stratégie de concentration et de montée en gamme se développe sur les véhicules électriques, avec une primeur aux véhicules utilitaires sport (VUS) et aux camions légers, bien plus gourmands en ressources. Les batteries équipant les VUS de 2022 sont ainsi quatre à cinq fois plus gourmandes en ressources que celles des premiers modèles sous-compacts électriques, ce qui amplifie l’effet de rareté sur le marché. Dans ce contexte, le pari d’une démocratisation de la voiture électrique abordable, adaptée aux besoins et massivement diffusée est un pari de plus en plus improbable.
Or, une part importante des réductions d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) auxquelles le Canada, le Québec et la Ville de Montréal se sont engagés repose sur ce pari de l’électrification rapide du parc de voitures individuelles. Ces réductions des émissions du secteur de la mobilité des personnes sont en effet prioritaires, étant par ailleurs le poste d’émissions le plus important au Québec. Néanmoins, sans même considérer les difficultés contextuelles listées auparavant, réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) en ajoutant des voitures électriques au parc automobile est aussi un pari risqué. En effet, les tendances lourdes actuelles, qui sont l’augmentation du taux de possession d’une part et l’obésité routière d’autre part, risquent d’annihiler tous les bénéfices espérés par l’électrification.
Par ailleurs, comme les différentes politiques de mobilité durable le mentionnent, l’utilisation de l’automobile à titre individuel ne génère pas seulement un problème d’émissions de GES : elle nuit à la santé, à l’économie, à l’environnement et, surtout, elle maintient le Québec dans un cercle vicieux de dépendance à l’automobile, qui entraîne dans son sillage l’aménagement du territoire et les symboles culturels. À l’échelle internationale, le Québec se situe encore parmi les mauvais élèves, avec un taux de motorisation qui augmente plus vite que la moyenne nord-américaine et européenne.
Le contexte global actuel, marqué par la diminution forcée des ventes de voitures, représente donc une occasion pour le Québec et pour la ville de Montréal de justifier un changement de cap consistant à passer d’objectifs d’électrification à des objectifs de réduction de notre dépendance à l’automobile, qui se traduirait par une baisse du taux de possession. Cette réduction ne sera pas à percevoir comme une contrainte ni comme une stratégie liberticide ou punitive, mais, au contraire, comme une stratégie libératoire. Demander à un fumeur d’arrêter la cigarette, c’est le confronter à la peur de la privation et du manque; alors que lui promettre de faire en sorte qu’il ne ressentira plus jamais le besoin de fumer, c’est le libérer.
Au Québec, la dépendance à l’automobile est de trois ordres, allant d’une dépendance structurelle réelle à une dépendance psychologique, symbolique et culturelle – sur le plan des individus, mais aussi des institutions –, en passant par une dépendance traditionnelle liée à des habitudes ancrées. Une partie significative de la population a besoin d’une automobile pour se déplacer, notamment celle des territoires peu denses où la vie dépend de la capacité de circulation en voiture pour accéder aux biens et services essentiels. Pour celle-ci, sans solutions adaptées et complètes, les options de baisse de la dépendance sont réduites. Cependant, pour l’autre partie de la population qui vit en milieu urbain, la dépendance est souvent essentiellement de l’ordre des habitudes, de la psychologie, voire de la culture. Avec un minimum de solutions complémentaires et de changements de modes de vie, l’abandon d’un véhicule, voire de tous les véhicules du foyer est possible. Viser cette démotorisation, c’est alors s’aligner avec les meilleures stratégies de mobilité durable : celles qui entraînent des changements profonds. Comme le fumeur qui évite de conserver des cigarettes chez lui pour ne pas être tenté, ne pas avoir trop facilement accès à une voiture est une bonne manière de s’en désintoxiquer, car la simple possession en favorise l’utilisation.
Ainsi, viser la baisse de la dépendance, c’est à la fois bonifier les options et accompagner le changement de comportement. C’est aussi mettre en avant les résultats et en faire bénéficier les contributeurs, car moins de voitures est bénéfique pour le porte-monnaie des citoyens et citoyennes, pour leur santé physique et mentale, pour la balance commerciale et pour de nombreuses autres sphères, en fonction des nouveaux comportements adoptés. Viser la réduction de la possession automobile, c’est également tendre vers plusieurs objectifs de la Politique de mobilité durable 2030 du gouvernement du Québec en une seule fois.
De nombreuses mesures et politiques sont déjà identifiées et pourraient être renforcées. D’autres idées mériteraient des analyses plus approfondies ou directement des projets pilotes. D’un point de vue budgétaire, au regard des coûts exceptionnels pour la société de l’électrification de la voiture individuelle, la marge de manœuvre pour des mesures alternatives est conséquente.
Encourager l’autopartage et réduire le besoin de possession, limiter l’emprise de la voiture sur les villes et les territoires, favoriser la mobilité active et le transport collectif sont autant de leviers potentiellement bien plus efficaces, sûrs et politiquement justes et équitables. Enfin, réduire la demande en voitures électriques permettra aussi d’orienter l’offre et de faciliter l’accès aux voitures électriques à celles et ceux qui en ont vraiment besoin, à commencer par les flottes professionnelles, les véhicules en partage et la population en milieu rural.
Alors qu’une pénurie est un phénomène subi, la rareté peut être anticipée, pilotée et faire l’objet d’arbitrages réfléchis. Ainsi, plus le changement de cap se fera tôt, plus il pourra se faire en douceur et de manière graduelle pour mettre Montréal et le Québec sur la voie d’une mobilité en adéquation avec les cibles de lutte aux changements climatiques et de mobilité durable. Attendre, c’est s’exposer à une crise de la mobilité déjà annoncée par les constructeurs automobiles eux-mêmes. Comme l’a déclaré Arnaud Deboeuf, directeur de la production européenne chez Stellantis : « Le marché automobile pourrait s’effondrer si le prix des véhicules électriques ne diminue pas. »
Dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, d’accroissement des inégalités et d’une difficile transition écologique, cette crise de la mobilité liée à l’impossibilité de s’équiper d’une voiture dont on est dépendant ne serait pas la bienvenue.
Rapport complet
Notes
Rapport produit pour soutenir la démarche de LocoMotion en commun soutenue par Montréal en commun. LocoMotion en commun est composé des partenaires suivants : Agence de mobilité durable, Centres de gestion des déplacements (CGD) métropolitains, Conseil régional de l’environnement (CRE) de Montréal, Coop Carbone, Cyclistes solidaires, Fondation David Suzuki, Laboratoire d’innovation urbaine de Montréal (LIUM), Mobicoop, Partenariat Climat Montréal (PCM), Projet collectif, Solon et Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS).
Les opinions exprimées n’engagent que l’auteur et ne traduisent pas le point de vue de la Ville de Montréal, des organisations membres de LocoMotion en commun ou des partenaires de financement.
Bonne lecture!